Publié le Mai 21, 2025
Les villes ont parfois mauvaise réputation, surtout lorsqu’il s’agit de l’environnement.
Cependant, les zones urbaines, denses et bien reliées, produisent moins d’émission par habitant et, lorsqu’elles sont conçues avec intention, elles offrent aux gens des moyens de vivre, de travailler et de se déplacer qui émettent moins de carbone. Alors que la crise climatique s’intensifie, les villes ne sont pas seulement vulnérables — elles sont aussi en première ligne de la lutte.
Ce qui fait des urbanistes et des concepteur(-rice)s les acteur(-rice)s parmi les plus importants de l’action en faveur du climat. La manière dont nous façonnons nos villes, spécifiquement nos espaces publics, peut avoir une incidence considérable.
Afin d’en savoir plus, nous avons échangé avec Hélène Chartier, directrice de l’urbanisme et de la conception à C40 Cities, un réseau mondial de près de 100 maires et mairesses qui travaillent ensemble pour faire face à la crise climatique.
Hélène, qui a auparavant travaillé en tant que conseillère à la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, aide les villes à concrétiser des objectifs climatiques audacieux en les intégrant dans les politiques d’aménagement du territoire et dans les régulations d’urbanisme. Elle a également parlé et écrit au sujet de la façon dont les urbanistes peuvent être les meilleur(e)s activistes climatiques. (lien en anglais)
Nous avons discuté avec elle de la manière dont les villes peuvent mener l’action climatique, de l’importance de l’espace public et de ce qui l’inspire dans son travail.
Evergreen: Comment la planification urbaine peut-elle lutter contre la crise climatique?
Hélène Chartier: Les villes étaient autrefois compactes, avec les emplois, les magasins et les services essentiels situés à proximité d’où les gens vivaient. Après la Seconde Guerre mondiale, nos villes se sont totalement transformées en raison des modèles de mobilité. Nous avons également commencé à spécialiser les quartiers : zones résidentielles, économiques et commerciales, toutes reliées par une conception axée sur la voiture.
Nous savons que les villes se développent 50% plus vite que leur population. Ce qui signifie que l’expansion urbaine n’est pas seulement liée à l’accroissement de la population urbaine. Non seulement nous allongeons les distances et les temps de trajet, mais cela a également créé de nombreux problèmes environnementaux, comme la pollution de l’air. De plus, une grande partie de l’expansion urbaine se produit dans des zones déjà identifiées comme présentant un risque élevé d’inondations ou d’autres risques climatiques.
Donc nous avons besoin d’arrêter l’expansion urbaine et nous devons arrêter le zonage à usage unique. Un quartier à usages multiples, comprenant des logements et des bureaux, est plus résilient aux crises et réduit les distances de transport.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (lien en anglais) estime que si nous adoptions un meilleur modèle de planification urbaine, nous pourrions réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 25%. Les bon(ne)s urbanistes réfléchissent à la manière de réduire les émissions des bâtiments, des transports, des espaces publics, en augmentant le potentiel de la nature. La crise climatique est une crise multiple. En tant que bon(ne) urbaniste, vous êtes confronté(e)s à plusieurs défis et objectifs, vous devez trouver un moyen d’y parvenir.
Evergreen: Quel est le rôle des espaces publics dans la résilience climatique et comment les villes peuvent-elles les concevoir?
HC: L’environnement urbain est plus durable du point de vue des gaz à effet de serre. Cependant, si vous ne le rendez pas désirable, les gens voudront quitter les villes. Si vous voulez plaider en faveur de la ville compacte, vous devez développer les espaces publics où les gens peuvent sortir et profiter de ce qu’on appelle « le salon du quartier ».
Il n’est pas possible d’avoir des villes compactes sans des espaces publics de haute qualité, verts et offrant un accès à la nature. Autrement, les gens n’ont pas l’impression que c’est un bon environnement de vie pour eux et pour leurs enfants. L’espace public, peut-être en complément d’une bonne offre de logements, sont les deux conditions nécessaires pour que les gens acceptent de vivre dans une ville compacte.
Nous savons que l’espace vert est un élément très important de la conception de l’espace public. Il existe beaucoup d’études démontrant l’importance de l’espace vert pour la santé physique et le bien-être mental, mais il est également essentiel d’un point de vue climatique.
D’autre part, il s’agit de créer un environnement propice à la marche et à la sécurité. C’est ce que pensait Jane Jacobs avec « les yeux dans la rue ». Les gens choisissent souvent de conduire, même sur des courtes distances, parce qu’ils pensent que l’environnement n’est pas favorable à la marche, surtout avec des enfants. Donc, même pour cinq minutes, ils préfèrent utiliser leur voiture. Cependant, si vous concevez un espace public comprenant un « rez-de-chaussée actif », vous pouvez créer un lieu où il devient agréable de se promener. Il en résulte une réduction directe des émissions dues au transport.
Evergreen: Quelles sont les petites idées d’urbanisme qui peuvent faire une grande différence dans la lutte contre la crise climatique?
HC: Les rues aux écoles sont une intervention extraordinaire qui peut avoir lieu dans tous les quartiers. Vous pouvez fermer les rues à la circulation, mais s’il n’y a pas d’autre usage, s’il n’y a pas de vie à cet endroit, les gens n’en voient pas l’intérêt. Cependant, si vous retirez les voitures près des écoles, vous verrez immédiatement les familles et les enfants s’y installer.
Vous pouvez voir la vie que l’on essaye de créer dans chaque quartier; ça commence ici. Puis vous voyez des choses comme des magasins et des cafés pour les parents pendant que les enfants jouent. À Milan, ils ont installé des tables de ping-pong pour créer de la vie dans les quartiers. Paris a investi plus d’argent et a aménagé des espaces verts.
Une autre chose que j’aime, c’est de voir les villes ouvrir leurs cours d’école après l’école, pendant les fins de semaine et pendant les vacances, ce qui peut également être combiné avec les rues aux écoles. Ça devient un nouveau parc, c’est un autre exemple d’intervention qui ne coûte pas beaucoup et qui peut rapidement changer l’environnement, à la fois en termes de climat et de qualité de vie.
Parc Rives de Seine, Paris. Crédit photo : Mairie de Paris
Evergreen: Qu’est-ce qui vous a le plus inspiré dans votre travail?
HC: Il est très clair que les gens veulent plus d’espaces verts. Ils veulent plus d’espaces publics pour se promener, pour faire du vélo et pour que les enfants jouent. On voit déjà ceci se produire dans beaucoup de villes, dans les zones urbaines denses.
Paris a réalisé ceci super vite, ces cinq dernières années, en transformant 50% de leurs espaces de stationnement dans la rue en espaces publics et en développant 200 rues aux écoles. Medellín, en Colombie, a été pionnière des couloirs verts et des rues vertes, bien avant beaucoup de villes de l’hémisphère nord. Elle a effectué des mesures montrant qu’elle pouvait réduire l’îlot de chaleur urbain de 3 à 5 degrés en apportant plus d’ombre naturelle grâce aux arbres.
Avant de rejoindre C40, j’étais conseillère pour la mairesse de Paris, Anne Hidalgo. Une autre chose que j’ai vraiment admirée, c’est le courage politique. Le gouvernement, dans les années 1960, a décidé de construire une autoroute au milieu de la plus belle partie de la ville. Lorsqu’on a commencé la transformation de l’autoroute [pour interdire les véhicules], il y a eu beaucoup de réticences. Je me souviens que la réunion de consultation publique a été très difficile — les gens disaient que nous devrions attendre que davantage de transports publics soient construits. Mais elle a dit : « Nous ne pouvons pas attendre; la pollution est terrible et nous devons la résoudre maintenant. »
Aujourd’hui, je pense que vous pouvez voir les sondages, ou la proposition récemment adoptée avec 66 % des voix [pour approuver davantage de rues sans voitures], vous pouvez sentir la transformation. Même les opposants d’Anne Hidalgo ne la transformeraient plus jamais. Elle quittera son poste de mairesse dans quelques mois, mais même si un autre parti politique gagne, ils ne transformeront jamais la ville. Je pense que c’est très inspirant.