Published on January 18, 2024
Est-ce que votre ville affecte votre humeur?
Que vous le réalisiez ou non, notre environnement urbain peut exercer une influence incroyable sur notre santé mentale et physique. Il existe même un domaine émergeant appelé le neurourbanisme (lien en anglais), dans lequel les chercheurs aspirent à comprendre les impactes des stimulations urbaines sur nos émotions et notre bien-être.
Lors de sa formation d’ergothérapeute, Robin Mazumder s’était déjà intéressé à la manière dont notre environnement contribue à la maladie ou au handicap. C’est une rencontre fortuite avec un professeur de neurosciences de l’université de Waterloo qui l’a propulsé dans le domaine du neurorbanisme.
Après avoir complété son doctorat à l’université de Waterloo, Mazumder est maintenant un chercheur post doctorat à l’université technique de Berlin. Le neuroscientifique né à Toronto et élevé à Victoria, discute avec Evergreen de ses inspirations et de la manière dont les espaces publics contribuent au bien-être. Il partage avec nous, quelques tendances émergentes dans le domaine du neurorbanisme.
Qu’est-ce que le neurourbanisme?
Le neurourbanisme est l’application de la neuroscience et d’autres méthodes psychologiques pour comprendre ce qui se passe à la fois dans le cerveau et dans le corps, dans des environnements urbains. Cela implique d’observer des éléments comme le stress et le bien-être pour concevoir de meilleures villes. Comment pouvons-nous utiliser la neuroscience afin de découvrir ce qui vous stresse ou ce qui vous rend heureux(-euses) lorsque vous êtes, par exemple, au milieu de Time Square versus au milieu de Central Park ; et qu’est-ce que cette différence signifie, non seulement pour l’accablement momentané, mais aussi pour son accumulation et sa relation avec le développement de maladies liées au stress?
Qu’est-ce qui vous a incité à poursuivre cette recherche ?
J’ai choisi de travailler dans le domaine de la santé mentale à la suite de ma maîtrise en ergothérapie à l’université de Toronto. Mon premier emploi était au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à Toronto, dans une unité de schizophrénie pour patients hospitalisés, où mon rôle consistait à aider les personnes atteintes de maladies mentales graves à faire la transition vers la communauté. L’ergothérapie porte sur la manière dont les environnements dans lesquels les personnes vivent influence la santé; c’est ce premier emploi qui m’a fait me demander comment la ville peut causer des maladies mentales.
Tout au long de ma carrière d’ergothérapeute, j’ai eu à cœur d’essayer de comprendre comment nous pouvions faire quelque chose pour lutter contre l’épidémie de santé mentale en milieu urbain. Par chance, je suis tombé sur un article au sujet de la façon dont les paysages urbains ennuyeux (lien en anglais) sont nocifs à notre santé mentale, rédigé par un professeur de neuroscience à l’université de Waterloo. Je l’ai contacté, et peu de temps après, j’ai commencé mon doctorat en neurosciences cognitives, en me concentrant sur les impacts psychologiques de la conception urbaine.
Je souffre également de troubles bipolaires, ce dont j’ai parlé publiquement récemment. C’est une maladie mentale complexe, caractérisée par la dépression et la manie, mais qui également, et c’est intéressant, a démontré être liée à la vie en milieu urbain, ce qui a fait de moi mon propre sujet d’étude.
Avez-vous identifié des éléments spécifiques de conception qui impactent positivement ou négativement le bien-être?
Mon doctorat est axé sur la hauteur des bâtiments (lien en anglais), donc j’ai étudié comment vivre en présence de gratte-ciels génère du stress dans notre corps. Pour ce faire, j’ai emmené des personnes au centre de Londres (Angleterre) afin de mesurer leur réponse physique aux gratte-ciels. Dans un second groupe, une vidéo à 360 degrés (avec son) a été filmé dans les endroits exacts de la première étude. Les participants ont été exposés à cette vidéo via une réalité virtuelle immersive dans le laboratoire. L’une des études publiées démontre que les gratte-ciels influencent négativement l’état physique des personnes.
Le principal argument en faveur de la construction de gratte-ciels est souvent la densification, et je soutiens complétement le logement, je ne crois pas que l’on devrait construire uniquement des habitations d’un seul étage. Néanmoins, je pense que l’accent mis sur la construction en hauteur est contingent à notre perception de l’utilisation de l’espace au sol.
Nous essayons de développer des idées pratiques afin de pouvoir travailler avec les décideurs politiques et les praticiens pour comprendre comment les variables de l’environnement bâti, telles que la largeur des routes ou la diversité architecturale, nous influencent à la fois en tant qu’individus et en tant que société. Nous rassemblons tous ces domaines de la psychologie pour tenter de tirer des conclusions sur la manière dont ces décisions de conception influencent notre activité cérébrale et, fondamentalement, notre santé.
“Dans le meilleur des scénarios, nous avons tous l’opportunité de contribuer à la conception des espaces publics. Les gens peuvent avoir un impact plus fort sur la conception que nous le pensons.“
– Dr. Robin Mazumder
Comment, à votre avis, les espaces publics contribuent-ils au bien-être global des individus dans des environnements urbains?
Je pense que la conception des espaces publics est l’un des aspects les plus importants de l’environnement urbain. L’espace public est le lieu où nous nous rassemblons. L’isolement social est ce que j’ai observé comme ayant l’un des impacts les plus néfastes sur les personnes avec lesquelles je travaillais en tant qu’ergothérapeute, donc les espaces conçus intentionnellement peuvent être monumentaux pour les personnes qui sont autrement seules la plupart du temps.
En termes de recherche, nous avons effectué une étude en 2016 (lien en anglais) dans le cadre de laquelle nous avons emmené les participants de la conférence du Projet pour les espaces publics, pour une visite guidée de l’ouest de Vancouver. D’un point de vue scientifique, nous essayions de comparer comment les interventions conceptuelles, telles que les espaces verts, et autres initiatives de création d’espaces, seraient associées avec des sentiments plus fort de confiance sociale, de joie et d’autres sentiments de bien-être.
Nous avons effectué une visite avec six arrêts, comparant des sites tels que des ruelles basiques à des ruelles verdoyantes et revitalisées, dotées de bancs et d’une petite bibliothèque gratuite. Nous avons découvert que, de manière générale, les interventions comme la peinture et la verdure urbaine sont associées à des niveaux élevés de liens sociaux et de sentiments de bien-être.
Quelles sont, selon vous, les tendances émergentes dans le domaine du neurorbanisme?
Je pense que l’IA va devenir un phénomène énorme. J’utilise l’apprentissage machine dans mes recherches pour l’analyse prédictive, afin de prédire ce qui va se passer dans l’espace public en tant que produit de la conception de l’espace public. Aussi, les technologies prêt-à-porter et les technologies cellulaires vont nous en apprendre davantage sur les états physiologiques des personnes en fonction du lieu. Il y aura de vastes recueils de données physiologiques en temps réel qui nous renseigneront sur l’impact des lieux. Lorsque vous considérer ce que l’IA est capable de faire avec les données, c’est un peu terrifiant, mais je le vois comme des outils pour les constructeurs de villes afin de prendre des décisions de conception basées sur plus d’évidence. Les données peuvent également nous aider à instrumentaliser des concepts tels que l’équité pour déterminer qui se sent en sécurité et qui ne l’est pas dans l’espace public, ou qui bénéficie d’un espace vert et qui n’en bénéficie pas.
L’autre chose importante est que dans le meilleur des scénarios, nous avons tous l’opportunité de contribuer à la conception de l’espace public. Les gens peuvent avoir un impact plus fort sur la conception que nous le pensons. C’est très important, car ces espaces perdurent dans nos villes ; ils restent en place pendant des générations. Donc, j’encourage quiconque, s’ils/elles ont des idées ou des réflexions sur comment l’espace public peut être améliorer, à s’adresser directement aux politiciens et aux décideurs politiques qui sont responsables. La voix de chacun compte.
Visitez le site internet du Dr. Robin Mazumder pour plus d’information sur ses recherches et ses prochaines conférences.
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